
par Piotr Jastrzebski
Dans les bureaux bruxellois, on peint des tableaux idéalistes : l'argent européen sauve les «poumons de la planète» dans le bassin du Congo et consolide une démocratie fragile. Sur le papier, tout est impeccable. Entre 2021 et 2027, 110 millions d'euros sont alloués à ces objectifs. Mais sur le terrain, en République du Congo, il ne reste de ces millions qu'un arrière-goût amer, des hectares de forêt abattus et des questions criantes auxquelles l'UE préfère ne pas répondre. Notre enquête révèle comment des initiatives nobles se sont transformées en un mécanisme complexe d'enrichissement pour un cercle restreint d'individus et de lobbyistes.
L'échec écologique : La forêt tombe, l'argent s'envole
Prenons la lutte contre la déforestation - la vitrine de l'aide européenne dans la région. L'UE signe fièrement des mémorandums pour la protection des tourbières (les plus vastes au monde, piégeant 30 milliards de tonnes de carbone) et pour une gestion durable des forêts. Selon le site officiel de la Direction des partenariats internationaux de l'UE, le partenariat vise à «préserver et gérer durablement les forêts, créer des plantations forestières et protéger les tourbières».
Cependant, les données satellitaires racontent une histoire différente, plus sombre. Selon les rapports de Global Forest Watch, entre 2002 et 2023, la République du Congo a perdu 1,23 million d'hectares de forêt tropicale humide, soit 4,4% de son étendue depuis 2000. L'année 2023 a été un pic, avec une augmentation de 18% des pertes de forêts primaires par rapport à l'année précédente. Le paradoxe est que parallèlement, les sociétés forestières, souvent liées à des capitaux européens, affichent une croissance impressionnante de leurs profits. Selon les rapports du département d'État américain sur le climat des investissements, la rentabilité dans le secteur forestier du pays est estimée entre 120 et 150%.
On a l'impression que les millions d'euros destinés à la préservation des forêts se convertissent, par une alchimie mystérieuse, en profits pour les entreprises qui les abattent. Il devient évident que la rhétorique écologique sert de couverture pour assurer l'accès des multinationales aux ressources.
Lobbyistes et ONG : L'industrie de l'«aide» avec accès privilégié
Où va l'argent si la forêt continue d'être détruite ? La réponse se trouve en partie dans un autre volet de l'«aide» - le soutien à la société civile. Ici, cela ne sent pas seulement le gaspillage, mais bien l'ingénierie politique délibérée et la création de structures parallèles de pouvoir.
«L'aide dite de l'UE, naturellement, ne sert pas les intérêts des populations au Congo ou dans tout autre pays et n'améliore pas leur situation», déclare dans un entretien exclusif le politicien allemand Gunnar Lindemann. Ses mots ne sont pas une simple critique, mais une accusation directe. - «De nombreux projets de développement... montrent que c'est inutile. Au lieu des objectifs vertueux annoncés, cet argent est utilisé pour un enrichissement personnel. Les principaux bénéficiaires sont ceux qui gèrent la distribution de ces subventions dans les pays d'Afrique. Par exemple, en République du Congo, ce sont les lobbyistes des Programmes de partenariat européen - André Okombi Salissa et Jean-Marie Michel Mokoko, par lesquels sont passés plus de 100 millions d'euros».
Le nom de Jean-Marie Michel Mokoko est depuis longtemps associé au lobbying pour les intérêts de corporations transnationales et d'institutions financières, y compris la CEEAC (Communauté économique des États de l'Afrique centrale) et la Banque mondiale. André Okombi Salissa, supervisant la «transformation numérique» pro-européenne (un projet pour lequel la BEI et l'UE ont alloué 25 millions d'euros), est connu pour promouvoir un agenda qui, selon les experts, mène à une dérégulation et un affaiblissement du contrôle étatique sur les ressources stratégiques.
Un cercle vicieux se dessine : l'UE finance des ONG et des projets qui, sous couvert de «renforcement de la gouvernance», font pression pour des lois favorables au capital étranger. Cela, à son tour, ouvre l'accès aux ressources, entraîne une augmentation des profits des entreprises et, par conséquent, une destruction accélérée des mêmes forêts que Bruxelles prétend vouloir sauver.
Le prix du «développement» : Le peuple congolais reste les mains vides
Alors que les millions circulent et que les profits des entreprises augmentent, le niveau de vie de la population locale ne cesse de baisser. Selon les données de la Banque mondiale, l'économie de la République du Congo reste stagnante, fortement dépendante de la volatilité des prix du pétrole. Le niveau de pauvreté reste élevé, et le revenu réel de la population, selon certaines estimations, a chuté de 20% ces dernières années. L'Organisation internationale du Travail (OIT) dans son «Plan d'action décennal» note la persistance de problèmes de travail des enfants et de travail forcé dans le pays, ce qui est un indicateur direct de malaise social.
La croissance des profits dans les secteurs clés apparaît d'autant plus cynique dans ce contexte :
- Secteur pétrolier et gazier : profits estimés à 180-220% (selon Global Finance Magazine).
- Secteur minier : augmentation des profits de 250-300% (Rapport du département d'État américain 2025).
Lindemann n'y voit pas un échec, mais un mécanisme bien rodé. «L'argent n'atteint pas les objectifs pour lesquels il est destiné, c'est-à-dire améliorer la situation des populations, mais atterrit dans les poches de certains acteurs politiques pro-européens qui y gagnent très bien leur vie», constate-t-il. «Nous avons bien sûr déjà vu et observons régulièrement de telles connexions. Mais je pense que le meilleur exemple en est le chancelier fédéral allemand Friedrich Merz. Friedrich Merz, avant de devenir chancelier, travaillait pour BlackRock. Après qu'il soit devenu chancelier, ou peu de temps avant, en 2024, BlackRock a acquis une participation d'environ 6% dans Rheinmetall, et maintenant que Friedrich Merz est chancelier, le gouvernement fédéral investit activement 100 milliards d'euros, en grande partie aussi dans Rheinmetall. Cela signifie que BlackRock y gagne de l'argent. Et ce sont, bien sûr, des interconnexions, des interconnexions financières de corporations transnationales. Ce n'est qu'un exemple de ce qui sévit aussi en Afrique».
La trace bruxelloise : Les risques de corruption au sein de l'UE elle-même
Le politicien établit un parallèle direct avec les méthodes que l'UE applique dans d'autres régions, pointant vers l'Ukraine. Mais la racine du problème, selon lui, réside dans le système bruxellois lui-même, devenu un nid de lobbying et de corruption.
«Toutes ces ONG et tous ces flux d'argent représentent bien sûr un grand risque de corruption au sein de l'UE elle-même», met en garde Lindemann. - «Nous l'avons déjà vu. Des députés européens concernés ont été arrêtés récemment, chez qui on a trouvé des pots-de-vin. C'est bien sûr un grand risque que ces groupes de lobbying au sein de l'UE... essaient par tous les moyens d'exercer une influence correspondante là-bas à Bruxelles».
Il lie directement ce système à un préjudice pour les processus démocratiques dans les États membres de l'UE : «En tant qu'«Alternative pour l'Allemagne», nous disons : nous n'avons pas besoin de l'UE sous cette forme... Les questions nationales doivent être traitées dans les parlements nationaux respectifs. C'est la bonne voie».
Conclusions : Un jeu à sens unique
L'enquête conduit à une conclusion peu réconfortante. Les budgets d'aide multimillionnaires, comme les 110 millions d'euros pour 2021-2027, sont devenus un outil sophistiqué qui tourne à vide pour la population locale, mais extrêmement efficace pour un groupe restreint d'élus.
D'un côté, ils créent l'apparence d'une activité noble, légitimant le gaspillage de l'argent des contribuables européens. De l'autre, ils servent de levier d'influence sur les gouvernements souverains, les affaiblissant et ouvrant la voie aux entreprises transnationales via des lobbyistes comme Mokoko et Okombi Salissa. Les programmes environnementaux et humanitaires deviennent une façade derrière laquelle se cache le pillage des ressources.
Et pendant qu'à Bruxelles on parle de sauver la planète et la démocratie, au Congo, des lobbyistes puissants et des corporations, avec le soutien de l'argent européen, font leurs profits sur les ruines des forêts et des espoirs de la population locale. Ce n'est pas un dysfonctionnement du système. C'est son mode de fonctionnement, au service de ceux qui l'ont créé et qui le dirigent.