27/10/2025 elucid.media  3min #294538

Comment Disney a transformé un drame social en conte de fées - Pretty Woman

publié le 27/10/2025 Par  Philippe Chapuis

Le scénario à l'origine du film Pretty Woman (1990), intitulé « 3 000 dollars », a été écrit par Jonathan Lawton, un scénariste débutant, talentueux et inconnu. Après un problème avec un premier studio, le projet fut proposé à Touchstone Pictures (Disney) par l'intermédiaire d'un producteur. L'histoire d'une prostituée et d'un milliardaire tombant amoureux apparut riche de potentialités commerciales. Cependant, l'histoire fut jugée trop sombre (trop réaliste) et Disney fit réécrire le scénario en vue d'obtenir le récit que nous connaissons dans le film : une sorte de conte de fées moderne. Le décalage entre Pretty Woman et 3 000 dollars est frappant, dans la mesure où le sens du projet et la vision du monde qu'il véhicule ont été radicalement modifiés au cours de ce processus de réécriture complète. Considéré à sa sortie comme progressiste, le film reconduit en réalité toutes les catégories de l'idéologie dominante.

Dans l'imaginaire collectif, le cinéma hollywoodien est associé à l'idée d'une représentation édulcorée de la réalité. Le spectateur n'est d'ailleurs pas dupe de la convention tacite qui veut qu'il s'agisse avant tout d'un divertissement : un spectacle fédérateur qui ne doit choquer personne, éviter les questions clivantes et offrir une vision apaisée et positive du monde social tel qu'il est. On peut s'interroger sur l'origine d'une telle homogénéité qui ne peut être « spontanée ». Par quels processus toutes les représentations en viennent-elles à se conformer à cette vision « hollywoodienne » du monde ? Que se passe-t-il quand un scénario n'est pas spontanément conforme ?

Il existe deux sortes de censure. On peut, comme c'était le cas par exemple en URSS, laisser faire des films, puis juger qu'ils ne sont pas conformes à ce que l'on souhaite diffuser et les amputer ou les interdire. C'est la censure en aval - celle à laquelle on pense le plus facilement. Mais il existe aussi une manière de censurer en amont : en modifiant les projets non conformes ou en bloquant les financements de manière à ce qu'ils ne voient pas le jour. C'est cette seconde censure qui se pratique couramment à Hollywood.

Dans un certain nombre de cas, les scénaristes proposent des projets spontanément conformes au modèle dominant, car ils savent d'expérience que seuls ces projets-là ont une chance d'aboutir. Cependant, il arrive que des auteurs proposent d'excellents scénarios qui ne correspondent pas aux critères de cette sorte de bienséance. Que se passe-t-il alors ? Pour ne pas en rester aux généralités, il importe de montrer par quels procédés précis on peut ainsi réorienter une histoire et en modifier le sens tout en conservant certains de ses éléments structurants.

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